Allongement de la durée maximum de la portabilité, suppression du cofinancement au profit de la seule mutualisation, généralisation à tous les salariés du secteur privé, …
Dans ce contexte : comment gérer la portabilité des droits en prévoyance et en santé lorsque l’entreprise est amenée pendant cette période à changer d’organisme assurantiel ou à modifier ses garanties ?
Origine de la portabilité des droits en prévoyance et en complémentaire santé
Le dispositif a été introduit par l’ANI de janvier 2008 qui prévoyait, en cas de rupture du contrat de travail pour les salariés quittant cette dernière en bénéficiant de l’indemnisation chômage, le maintien des garanties santé et prévoyance existantes dans l’entreprise. La couverture devait être maintenue pendant la période de chômage avec un plafonnement limité à la durée du dernier contrat de travail et au maximum à neuf mois.
A l’époque, deux modes de financement avaient été envisagés :
- le cofinancement avec la participation du salarié à hauteur de sa part sur la future période couverte et la participation de l’employeur sur les mêmes conditions,
- la mutualisation, une cotisation additionnelle était prévue sur l’ensemble des contrats prévoyance et santé pour maintenir ensuite à titre gratuit à la personne en situation de chômage ses droits. C’était une sorte de préfinancement global.
En janvier 2013, les partenaires sociaux ont souhaité modifier ces dispositions, qui ont été reprises, en allongeant la durée maximum de neuf mois à un an, et en supprimant l’un des modes de financement, le cofinancement au profit de la seule mutualisation à échéance du 1er juin 2014 pour la santé et 1 er juin 2015 pour la prévoyance. La loi de sécurisation de l’emploi (LSE) a généralisé ce dispositif à tous les salariés du secteur privé.
Qu’est-ce qui se passe en cas de transfert des engagements ?
La problématique qui se pose ici et que nous allons explorer est : qu’est ce qui se passe sur le sort de cette portabilité des droits lorsque l’entreprise est amenée pendant la période de portabilité à changer d’organisme assurantiel ou à modifier ses garanties.
Dispositif adopté à la mise en place
A la suite de l’application à partir de juillet 2009 du dispositif introduit en janvier 2008, un consensus s’était plus ou moins établi sur la place sur le fait qu’en cas de transfert du contrat d’assurance par l’entreprise d’un organisme auprès d’un autre les droits des chômeurs en cours étaient conservés et assurés par l’ancien organisme. A ce titre, nous pouvons citer plusieurs textes d’organismes assurantiels divers (documents rédigés par un certain nombre d’assureurs sur les guides de portabilité des droits, etc. ) et de nombreuses conventions collectives qui ont été rédigées dans cet esprit.
Sur le plan actuariel, la conservation de l’engagement par l’ancien assureur découle de la couverture des risques en capitalisation. En effet, considérer que c’est le nouvel assureur qui couvre les droits nés au cours de la couverture de l’ancien assureur reviendrait à considérer que ce sont les cotisations en cours qui couvrent le risque et non pas les cotisations passées et cela reviendrait donc à considérer qu’il s’agit d’une forme de cotisation en répartition et non pas en capitalisation.
Aujourd’hui, l’ensemble des organismes assurantiels opérant sur le territoire français n’ont pas d’autorisation de pratiquer la répartition. Et si sur certains segments d’assurance particuliers, la législation permet parfois de gérer en répartition, la règlementation française impose une séparation stricte juridique entre les sociétés qui fonctionnent en répartition et celles qui fonctionnement en capitalisation. Donc, les assureurs aujourd’hui en charge des couvertures prévoyance et santé fonctionnant en capitalisation ne peuvent en aucun cas gérer un risque en répartition. En sus, ces opérations de répartition ne peuvent pas s’appliquer à l’assurance vie et à la prévoyance collective.
Evolution du dispositif
Faisant fi de ces principes, aujourd’hui la pratique s’est inversée. Pour raisons, le fait que les garanties de la personne en cas de chômage et en situation de portabilité doivent suivre celles des actifs. Ici n’est discutée en aucune façon la mise en place de cette disposition, mais le fait qu’elle n’a pas de fondements logiques : Le salarié qui a quitté l’entreprise n’a aucune raison de conserver des garanties qui évoluent comme celles des actifs et ce n’est d’ailleurs pas le cas des autres salariés qui bénéficient d’une couverture dans la continuité de la couverture des actifs, comme par exemple les droits de suite liés à l’article 4 de la loi EVIN. Fort du fait que l’ancien assureur ne veut en aucune façon couvrir les garanties proposées par le nouvel assureur, la pratique serait de transférer la portabilité.
Cela ouvre plusieurs problématiques :
Premièrement toute la problématique évoquée plus haut de la « répartition », même si ce n’est pas la première fois qu’un nouveau texte vient à contredire une législation antérieure établie sans la modifier. (En effet ici il n’y a pas eu ouvertement d’autorisation pour les organismes en capitalisation de faire de la répartition….donc c’est toujours interdit !)
Deuxièmement les cas de baisse de garantie vont être nombreux dans les quelques années à venir, notamment par le plafonnement d’un certain nombre de garanties en complémentaire santé par le futur décret du contrat responsable que nous attendons tous. Aujourd’hui notamment, les contrats qui proposent le remboursement des équipements de lunettes une fois tous les deux ans ne sont pas la généralité et cette contrainte de limitation des remboursements des équipements de lunettes va diminuer les droits d’une grande majorité des contrats collectifs complémentaire santé de la place. Les personnes en droits de portabilité dans cette situation vont peut-être contester leur baisse de garanties qu’il y ait ou non changement d’assureur d’ailleurs. La contestation va à 100% reposer sur « est-ce que les cotisations payées pendant la période de cotisation doivent financer la portabilité ? » ou « est-ce que ce sont les cotisations futures des salariés futurs qui vont le faire ? »
La troisième problématique que cela pose c’est en cas de réduction très importante des effectifs. Une entreprise en difficulté licencie 80 % de son personnel et change d’assureur. Le nouvel assureur qui va couvrir l’entreprise devra couvrir ce 80% de chômeurs avec les cotisations du reste des actifs. Il va alors demander une surprime importante qu’en situation de crise économique et de réduction des effectifs, les quelques actifs restants ne sont peut-être pas en capacité de financer.
Enfin, on est en train de reproduire les schémas antérieurs déjà rencontrés à plusieurs reprises lorsqu’un risque est géré en répartition. Si l’entreprise vient purement et simplement à disparaitre, il n’y a plus de nouvel assureur et donc le désengagement de l’ancien assureur va conduire à l’annulation de la portabilité des droits. Sur un contrat complémentaire santé, c’est très embêtant mais ce n’est pas vital. Lorsqu’il s’agira de prévoyance cela peut conduire à des situations beaucoup plus graves et beaucoup plus dramatiques. Ce sont des situations que nous avons largement vécues dans le passé et qui ont conduit à l’obligation de provisionner instituée par la loi EVIN fin 1989 et par ce que nous avons tous appelé « la loi EVIN 2 », c’est-à-dire la couverture par l’organisme assureur « ancien » des garanties décès des salariés en arrêt de travail.
Dans la LSE, il est prévu un rapport au 1/5/2014 sur « les modalités de prise en charge du maintien des couvertures santé et prévoyance pour les salariés lorsqu’une entreprise est en situation de liquidation judiciaire ». Ce rapport doit présenter « notamment la possibilité de faire intervenir un fonds de mutualisation, (…) pour prendre en charge le financement du maintien de la couverture santé et prévoyance lorsqu’une entreprise est en situation de liquidation judiciaire ». A notre connaissance le rapport n’a pas été établi. En tous cas c’est un début partiel de solution non satisfaisant. On imagine déjà la suite, création éventuelle d’un fonds, avec ses lourdeurs et ses coûts et suivi de son financement etc…..moindre mesure qui n’aurait pas été nécessaire en laissant à l’organisme d’assurance le soin de provisionner et de conserver les engagements nés sous sa couverture et qui ne résout ni le problème de la législation en capitalisation, ni le cas des entreprises non en liquidations mais devenues inassurables après de gros mouvements de personnels.