2 ans et demi après la mise en place des premières évolutions règlementaires de la réforme 100% santé, quel bilan peut-on en tirer pour les organismes assureurs et les assurés ? C’est à cette question qu’a tenté de répondre l’Argus de l’Assurance dans son numéro du 27 août dernier.
Contexte et prévision
Pour rappel, la réforme 100% santé avait pour objectif de lutter contre le renoncement aux soins sur 3 postes (dentaire, optique et audiologie) dont le reste à charge, après remboursement de la Sécurité Sociale et de l’organisme assureur, est généralement conséquent pour les assurés.
Afin de lutter contre ce renoncement aux soins, la réforme prévoyait notamment :
- Mise en place de panier « 100% santé » assurant un reste à charge nul pour les assurés ;
- Revalorisation des bases de remboursement de la Sécurité Sociale de certains actes ;
- Mise en place puis abaissement progressif de prix limite de vente.
A noter que l’offre 100% santé n’est accessible qu’aux personnes bénéficiant d’un complémentaire santé responsable.
D’un point de vue tarifaire, l’impact attendu pour les organismes assureurs n’était pas neutre, la principale variable étant le niveau de garantie du contrat. Pour des contrats avec des niveaux de garantie faible, une forte hausse de la consommation était attendue, impactant à la hausse le tarif. Inversement, pour des contrats à haut niveau de garantie, offrant un reste à charge pour l’assuré faible, l’impact tarifaire prévu était beaucoup plus modéré.
Pourtant, le gouvernement avait insisté sur le fait que cette réforme ne devrait pas provoquer de hausse tarifaire de la part des complémentaires santé, expliquant que les coûts supplémentaires engendrés par le 100% santé sur les contrats à garanties faibles devaient s’équilibrer avec les économies qu’il génère pour les contrats à garanties élevées.
Quel impact observé ?
D’après les différents acteurs du marché interrogé par l’Argus de l’Assurance, les résultats semblent contrastés selon le poste de soin.
Optique
Selon la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie (CNAM), le taux de recours au panier 100% santé est de 14,65% contre un objectif de 20% en 2022. Parmi les acteurs du marché interrogés par l’Argus de l’Assurance, le taux de recours au panier 100% santé semble même beaucoup plus bas (de l’ordre de 5% à 10%). Cette différence avec les chiffres avancés par la CNAM peut sans doute s’expliquer par la faible part de contrats au ticket modérateur (« TM ») dans le portefeuille des organismes assureurs. En effet, pour les assurés disposant d’un contrat « TM », le reste à charge était quasi intégral, d’où un intérêt prononcé pour le panier 100% santé. On observe un fort taux de recours au panier 100% santé pour ce type de contrat.
Toujours est-il que le taux de recours au panier 100% santé en optique est décevant, ce qui a conduit la Direction Générale de consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) à lancer une enquête sur le manque d’implication supposée des opticiens pour mettre en avant les équipements 100% santé, pointant ainsi du doigt les réseaux de soins, fortement associé au marché de l’optique.
Avec un faible taux de recours au panier 100% santé, les assurés se sont donc tournés en grande majorité vers le panier à tarif libre, dont la principale mesure de la réforme pour ce panier était l’abaissement du plafond de la monture passant de 150 € à 100 € au 1er janvier 2020 et la quasi-disparition des remboursements de la Sécurité Sociale. Le prix des montures étant généralement supérieur à 150 €, il était prévu que le reste à charge augmente pour les assurés et que les organismes assureurs réalisent des économies sur ce poste, et c’est effectivement ce qu’il s’est passé. Ces économies sont toutefois contrebalancées par un autre effet de la réforme : la baisse du remboursement de la Sécurité Sociale sur les verres du panier à tarif libre. Certains acteurs du marché observent une hausse de la fréquence de consommation et de la qualité des verres, ce qui est profitable aux assurés.
Dentaire
Selon la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie (CNAM), le taux de recours au panier 100% santé est de 52,55% contre un objectif de 45% en 2022. Le taux de recours au panier 100% santé dépasse donc déjà les attentes, la surprise venant peut-être des contrats haut de gamme où le taux observé de recours au panier 100% santé par les acteurs du marché est particulièrement dynamique.
L’augmentation de la fréquence des soins en dentaire est unanimement partagée. La revalorisation de la base de remboursement de la Sécurité Sociale pour les prothèses et les soins dentaires joue en ce sens, entraînant une hausse des dépenses pour les organismes assureurs et une baisse du reste à charge pour les assurés.
L’autre nouveauté issue de la réforme 100% santé est la mise en place progressive puis l’abaissement de prix limite de vente pour les paniers 100% santé et « Reste à charge maîtrisé » en dentaire.
Certains acteurs du marché, interrogés par l’Argus de l’Assurance, dénoncent un effet pervers de cette évolution car ils ont remarqué que les dentistes ont pratiqué des tarifs convergeant vers ces plafonds. Cet effet n’est pas partagé par l’ensemble de la place, où l’effet inverse est observé, c’est-à-dire que la mise en place de prix limite de vente sur certains actes prothétiques a fait diminuer le prix moyen de ces actes et inversement, l’absence de prix limite de vente sur certains actes prothétiques a fait augmenter le prix moyen.
L’origine de ces divergences peut s’expliquer par la mise en place d’un prix limite de vente unique au niveau national. Les dentistes installés dans des villes petites et moyennes pratiquant des tarifs en dessous du prix limite de vente ont eu tendance à augmenter leur prix et inversement, les dentistes pratiquant des tarifs au-delà du prix limite de vente, notamment en Ile de France, ont dû diminuer leur prix.
L’ensemble de ces résultats en dentaire sont toutefois à prendre avec modération puisque la crise du Covid semble avoir modifié la pratique des dentistes, qui ont réalisé bien plus d’installations de prothèses que de soins à partir du 2ème semestre 2020, et ce jusqu’à mai 2021.
Audiologie
Sur ce poste, l’analyse est plus complexe, étant donné que le panier 100% santé n’est intégralement remboursé par la Sécurité Sociale et la complémentaire Santé que depuis le 1er janvier 2021, comme le souligne l’Argus de l’Assurance. Toutefois la dépense semble dynamique, s’expliquant par un renoncement aux soins assez élevé, en particulier chez les retraités. Il faudra donc attendre encore un peu pour savoir si les assurés ont reporté leur achat de prothèse auditive afin de bénéficier d’un reste à charge nul. L’analyse pourra être complexifiée par le faible nombre d’assurés s’équipant de prothèses auditives, surtout pour les classes d’actifs, entrainant une certaine volatilité des résultats.
Parmi les évolutions règlementaires mise en place dès 2019, la revalorisation progressive de la base de remboursement de la Sécurité Sociale semble être la principale mesure qui a pour effet d’augmenter les dépenses des organismes assureurs et diminuer le reste à charge des assurés.
Conclusion
Le bilan de la réforme est donc mitigé selon le poste de soins. La réforme 100% santé apparait comme une réussite en dentaire puisque le reste à charge des assurés diminue. A l’inverse, la réforme 100% santé semble être pour le moment un échec en optique où l’offre 100% santé n’est que très peu mise en avant et où va se poser la pertinence de l’offre de verres prise en charge dans le panier de soins (cas du traitement anti-lumière bleue par exemple). Enfin, en audiologie, il est encore trop tôt pour tirer de conclusion sur la réforme même si les premiers résultats semblent prometteurs.
Du point de vue des organismes assureurs, l’impact de la réforme n’est définitivement pas neutre.
Enfin, la crise du Covid a également joué son rôle dans les résultats observés et n’a certainement pas aidé à mettre en avant la réforme 100% santé qui reste largement méconnue par les assurés.
A l’avenir, on peut donc se demander quel serait l’impact de la réforme 100% santé dans une actualité moins focalisée sur le Covid, où une explication pédagogique de la réforme serait certainement plus audible.
Par Edouard BORGOMANO, Consultant Aprecialis, Actuaire de l’Institut des actuaires.